Extrait de mon journal au 10 août 1980 

Le retour vers le Cap Haïtien est beaucoup plus calme. Laurent est jeune, il a dû s’amuser toute la nuit. Encore un aspect de l’âme haïtienne, vivre, profiter du moment, à en oublier de dormir. Laurent somnole dans la voiture. Il règne donc un calme relatif dans l’auto, du moins jusqu’à la tombée de la nuit. Cette nuit qui tourmente tous Haïtiens et nous voilà dans l’attente du loup garou qui ne se montre pas mais qui ranime l’esprit de Laurent qui, entre deux éclairs, eh oui ! il s’est mis à pleuvoir, rassure Jean en lui disant : «  les bizangos craignent la pluie, conduis sans crainte. » Jean roule lentement, on y voit guère, la pluie tombe à grosses gouttes, de nombreux crapauds traversent la chaussée. De temps en temps, un crabe agite ses pinces, il glisse sur le macadam et ne sait plus où se diriger. La pluie déloge tous les habitants de la terre, des souris  franchissent également la route.

Un tap tap, tous feux éteints, démarre soudain sur la gauche et fonce devant nous toujours sur la voie de gauche. Jean essaie de le doubler à droite, la voiture se dirige vers la droite. On tente de doubler à gauche, le tap tap se remet à gauche. On a compris, ce taxi profite de nos lumières pour avancer. Nous éclairons donc la route jusqu’au premier village, où nous profitons de la lumière des feux de bois, pour éteindre les lumières de notre voiture et doubler le taxi. Les chauffeurs haïtiens ont de l’imagination et du courage doublé d’inconscience pour palier à leurs ennuis mécaniques. Ces petits incidents nous ont éloignés, pour un laps de temps, des phénomènes bizarres, mais bien vite Laurent se remet à parler de fantômes.